Un billet par jour et par participant. Aujourd’hui, voici celui de Romain, modeste héro, sauveur de chausson perdu.
Tout commença par la mystérieuse chute du chausson de notre ouvreur Tristan Dupré, dont nous tairons le nom afin que sa famille ne soit pas éclaboussée par la honte.
En cette fin de matinée du vendredi 19 avril 2024, les conditions météo étaient les meilleures possibles, pour entreprendre ce projet très minutieusement préparé de grande voie. Rendu au pied de la voie, la tension était palpable, les mines sombres, les gestes fébriles. Le projet était d’une ampleur sans précédents, 4 longueurs de 20m, avec des relais chaînés, et des points espacés d’au moins 2m50, sur des équipements dans un état remarquable se terminant par un rappel vertigineux en fil d’araigné d’ au moins 15m. Six aventuriers courageux et intrépides s’étaient regroupés en deux cordées en flèches afin de s’attaquer à ce périple plus qu’ambitieux. Tristan Christophe et Guillaume d’une part, et Romain Cyrille et Martin de l’autre.
Le début, dans un 5b ardu, se déroulait sans anicroches, alors que j’étais en tête de la seconde cordée, patientant sur un relais intermédiaire de la troisième longueur, qui n’était même pas référencé sur le topo, que nous n’ avions même pas pris la peine de lire. Le premier de la première cordée, le dénommé Tristan, tandis qu’il retirait ses chaussons pour la centième fois, afin de laisser reposer ses orteils meurtris, par une incroyable maladresse, laissa échapper à la précieuse chausse. Il lance alors un ‘NON’ de dépit, puis avec un trémollo de terreur dans la voie que nous ne lui connaissions pas, il s’adresse à moi « Romain, j’ai perdu mon chausson ». Cette phrase simple, sobre, peinait à masquer son degré de panique. Son sentiment d’angoisse transparaissait et venait titiller directement mon cerveau reptilien, me transmettant instantanément l’urgence de la situation, même pour une personne de ma trempe.
Il fallait agir vite, pour le rassurer, je lancais alors une bravade “tu paiera l’apéro”, insinuant une petite lueur d’espoir que nous nous en sortirions vivants. Alors que je patientais toujours sur cet improbable relai, je mis à profit mon formidable sens de l’observation, et je repérais rapidement l’objet. Mon talent inné m’avait placé juste au-dessus. N’écoutant que mon courage, je décidai sur le champ d’aller le chercher au péril de ma vie. Réfléchissant à toute vitesse, et exécutant de parfaites et complexes manipulations de corde, je posait une moulinette à l’aide d’un large mousqueton HMS. Un de mes seconds me moulina pendant la dangereuse descente d’au moins six mètres. Je ramassais le chausson de la honte puis entamait la délicate ascension sur la paroi la plus délitée et friable qu’il me fut jamais donné de voir. Chaque appuis cassait, chaque prise me restait dans les mains, m’aspergeant d’une pluie continue de débris et de poussière. Heureusement, par la force du désespoir mon second me tracta sur plus de 3m dans un insoutenable effort. Je retrouvai mon relai salvateur, reprenant mon souffle, et m’empresserai de montrer le fruit de mon exploit à mon maladroit camarade. Malgré la distance, j’entendis son soupir de soulagement, mais ne pu que deviner l’admiration dans son regard.
Mon récit s’arrête là, je ne suis qu’un héros comme les autres : je ne serai rien sans Cyrille, mon fidèle acolyte de l’ombre.