Avertissement et sécurité
Dans la suite j’évoque un certains nombre de problèmes qu’on peut rencontrer en grande voie. Ils sont de rarissimes à fréquents, de bénins à mortels.
Ces dangers existent.
C’est un fait.
Je tiens fermement à ce que vous le sachiez. Ces problèmes font partie intégrante de la grande voie, vous devez en avoir conscience, c’est primordial. Comme tous les sports, en particulier les sports extrêmes, il faut un apprentissage sérieux. Il passe par une grimpe encadrée par des grimpeurs plus aguerris. N’allez pas en grande voie entre grands débutants, partez avec des initiateurs qui vous amèneront progressivement à une autonomie de plus en plus grande. Aucun de ces problèmes n’est insurmontable, ils ne doivent ni vous effrayer, ni vous décourager de se lancer dans la pratique de la discipline. Sachez que le jeu en vaut la chandelle !
Cet article est le second d’une série. Le précédent. Le suivant.
La marche d’approche
La grande voie ca commence par la marche d’approche. Là il n’y a pas de règles, on marche jusqu’au pieds le la voie. Parfois, c’est long et dur, parfois, c’est une promenade bucolique.
Le chemin est expliqué dans le topo. La description va de sommaire à bien détaillée en passant par piégeux et paumatoire. Il arrive ne pas trouver sa voie (le pote fou de tintin s’en inquiétait souvent : “Il faut trouver la voie”)
Pour monter ?
En couenne (ou en salle) on monte sa voie, puis on pratique une manip de corde afin de redescendre en se faisant mouliner par son assureur.
En grande voie, une fois en haut on se vache, puis on effectue une autre manip de corde afin d’assurer son assureur d’en haut pour qu’il nous rejoigne, on peut alors poursuivre l’ascension tous les deux. De cette façon, longueur après longueur, on peut grimper indéfiniment (ou presque)
Il suffit ensuite de suivre la ligne de point comme en couenne, de proche en proche (sans se tromper d’itinéraires). Lorsqu’on trouve deux points d’un coup, c’est le relai, on s’arrête pour faire monter le second. Et ainsi de suite.
Pour descendre
Pour redescendre deux possibilités peuvent être offertes : soit on tire les rappels, soit on rentre à pieds. Parfois l’un ; parfois l’autre ; parfois les deux possibilités sont ouvertes, y a qu’à choisir, d’autres fois c’est un subtile mélange des deux.
Là encore le topo explique tout. Là encore les qualités de topo varient. Lorsque la descente est en rappel la marche de retour est la même que la marche d’approche. Sinon la marche de retour est décrite également.
Il arrive aussi que l’accès à la voie se fasse par le haut on commence alors par les rappels, puis on remonte.
Et Voilà, il reste une plus qu’une étape fondamentale post-grande voie : l’apéro, mais je vous laisse trouver d’autres tutos sur le sujet, qui ne sera pas traité dans cet article.
Ok, c’est pigé. La grande voie c’est l’empilement de plusieurs couenne. Ca a pas l’air plus sorcier que ça. Pourquoi est-ce qu’on en fait tout un truc ?
Pourquoi est-ce qu’on en fait tout un truc ?
L’escalade ; en grande voie ?
Si comme dans toutes les pratiques de l’escalade en extérieure on peut rencontrer des imprévus, l’ampleur de la grande voie rend la probabilité de survenue de problèmes plus importante et surtout leurs conséquences seront démultipliées en grande voie.
Voici quelques exemples de difficultés qu’on peut rencontrer en grande voie : trouver le pieds de la voie avec sa marche d’approche de hissard de 2h, et un descriptif carrément sommaire, est déjà un défi. Ce pas, si facile en salle n’est plus du tout le même lorsque le petit grat’ fuyant est 4m au dessus du dernier point et à 400m au dessus de la jolie petite rivière en bas. La météo peut transformer une super balade en cauchemar. Les équipements, les points, peuvent être espacés ou difficiles à trouver, ou inquiétants. Les bouquetins au mieux vous nargues, et au pire vous balance de cailloux (sans blague). La voie en croise plusieurs autres d’un niveau différent, on peut se tromper d’itinéraire. Tous les points de la voie ont disparu durant l’hiver victimes d’une avalanche. Les chutes de pierres. Mon second a perdu un chausson, j’ai perdu un descendeur. Si on perd du temps, on termine les rappels à la frontale, ou pire on bivouaque dans la voie, somnolant suspendu au baudrier. Rarement de réseau téléphone pour prévenir les secours. Les cordes qui s’emmêlent dans des arbres pendant les rappels….
Il faut être prêt pour tout ça.
Le grimpeur de salle parisien habitué à toucher son 7a en dévers, si bon grimpeur soit-il ne doit pas se lancer dans la grande voie à la légère. Les compétences mises en jeu ne sont pas que liées à un niveau de grimpe ; elles sont largement plus vastes.
Parce qu’en fait, vous l’aurez compris, l’escalade n’est qu’une infime partie de la grande voie.
L’engagement, définition
L’engagement ne doit pas être confondu à l’exposition. Définitions dans le livre “escalade pour tous”
L’exposition : estimation de la dangerosité d’une situation en termes de probabilités de survenue d’un événement redouté (accident) et de la gravité de ses conséquences.
L’engagement : Dans les sports de nature, l’engagement exprime le niveau d’irréversibilité d’une situation (une voie, un itinéraire, une course). C’est au sens propre, comme au figuré, le prix à payer en temps, en effort, en danger à affronter pour revenir en arrière, s’échapper, en moyens logistiques pour être extrait d’une situation critique dramatique pour cause d’accident ou de dégradation brutale des conditions météo.
L’engagement mesure les conséquences potentielles de l‘exposition. Cette même exposition dans une salle parisienne de bloc en face l’hôpital des urgences ne propose pas le même engagement que la même exposition dans le trou du cul de la cordillère des Andes a 8 jours de marche du village le plus proche. L’engagement c’est ça.
Exemple : “Bob, si tu tombe là tu te pète une cheville, c’est sûr.
=> pas grave l’hôpital est en face, je tente
=> y’a pas moyen que je me fasse les 8 jours à cloche pied.”
Une fois qu’on a commencé une grande voie qu’on s’est engagé dedans, on s’est imposé un certains nombre de contraintes. Un certain nombre de pas-le-droit-à-l’erreur.
Le principal engagement : Obligé de sortir.
La plupart du temps, en grande voie, il faut savoir qu’on ne peut pas faire demi-tour. C’est à dire que techniquement on ne peut pas s’arrêter au milieu pour abandonner.
Je vais devoir être un peu technique pour le néophyte, pour justifier ce propos. Pour faire demi-tour en grande voie il faudrait tirer des rappels. Pour tirer des rappels il faut quelques conditions :
- Un relai chaîné.
- Que le relais chaîné soit à la verticale du prochain relai chaîné.
- Que ce soit vrai jusqu’au sol
Parce que pour descendre, il faut deux cordes raboutées, pliées en deux et relié à la paroi par 2 points. Car pour la sécurité, on ne descend pas sur un point. En grande voie, sauf cas exceptionnel, les relais ne sont pas chaînés. On pourrait utiliser du matériel pour construire le relai (on le fait bien en montant), mais personne ne pourrait vous le rendre une fois au relai suivant. Et vous n’avez généralement pas abandonné au début de la voie. Vous n’avez donc pas assez de matériel pour construire tous les relais, jusqu’au sol.
On ne peut pas descendre en diagonale, descendre en diagonale est quasi suicidaire, je l’ai testé à mes dépends la gravité vous rappelle et vous pendulez, violemment.
Donc si la voie monte en diagonale (même de 7 ou 8 mètres), les relais ne seront pas à la verticale les uns des autres.
Il est donc techniquement impossible de redescendre.
(Faisons une pause pour méditer cela)
Puisqu’on ne peut pas redescendre il ne reste donc que 3 possibilités :
- S’installer sur place définitivement
- Appeler un hélico des secours montagne
- Sortir
On sera d’accord pour dire que seule la dernière option est acceptable. L’échec n’est pas une option. Donc en partant il faut avoir la certitude absolue qu’on va arriver en haut, quelque soit les circonstances.
A mon avis, c’est cet engagement là qui fait la grande voie, ça m’a obligé à le rajouté dans l’article d’avant.
La préparation
On va pas se faire une petite grimpe de 10 minutes, on part peut être pour la journée entière, plusieurs jours dans certains projets.
Donc, on prépare bien son projet, c’est à dire la voie qu’on se propose de réaliser. On répond à un vaste ensemble de questions.
Maîtrisons nous les manips nécessaires ? Quel est notre niveau technique maximum ? Quel est notre niveau technique de confort ? Combien de longueur serons nous capable de sortir avant de nous effondrer d’épuisement ?
La voie comporte combien de longueurs ? quelle difficulté ? Le parcours est il facile à suivre ? Comment la voie est elle équipée ? Avons nous le matériel nécessaire ? La météo est-elle favorable ? Combien de temps va durer la grimpe ? à quelle heure la nuit tombe ?
Mille questions auxquelles il faudra répondre, en restant humble. Cette préparation va permettre d’éliminer un certain nombre d’imprévus, de prévoir des plans B, d’avoir un descendeur en rab, ou un kway. Cette préparation va déterminer aussi à l’avance dans quels cas on va devoir renoncer c’est important.
Le binôme
Bah oui, parce que pour grimper faut être 2. On ne s’engage pas seul, on s’engage à deux. Une fois le projet bien cadré. Il reste encore le dernier point.
Avant de démarrer une GV avec ton super pote, hyper sympa, avec tout un tas de qualités indiscutables, il faut se poser trois questions :
- Suis-je certain de sortir cette grande voie ?
- Suis-je certain qu’il va sortir cette grande voie ?
- Suis-je certain qu’ensemble nous allons sortir cette grande voie ?
En toute confiance, si la réponse à ces trois questions est un OUI Franc sans l’ombre d’un doute, alors on va pouvoir parler du contrat moral tacite qui existe dans la cordée.
« Nous nous engageons chacun et ensemble à sortir cette grande voie ».
Nous sommes déterminés. Les clous rouillés ne nous arrêteront pas. L’espace entre les points ne nous fera pas hésiter. Nous passerons tous les pas difficiles. Nous chasserons les bouquetins s’ils viennent nous faire chier. Nous repartirons après un vol. Nous userons de tous les artifices habituellement honteux (tire-clou, pédale, tirer sur les touffes d’herbes, mettre les pieds sur les clous, utiliser les dégaines panic, …). Mais surtout j’encouragerai, je menacerai, j’insulterai, je flatterai, je mentirai, je tracterai mon binôme jusqu’à me détruire les bras pour qu’il sorte. Et j’ai une confiance aveugle dans mon binôme, j’ai la certitude absolue qu’il en fera autant pour moi.
Au pied de la voie, je peux encore renoncer, mon binôme sera dégouté, mais ne sera pas fâché. Mais si je pars, je m’engage à sortir. Parce qu’on ne peut pas redescendre.
Mais quel kif !
Les premiers relecteurs m’ont dit que j’étais flippant. C’était le but. Mais je voulais pas vous faire peur au point de vous empêcher de vous lancer.
Lorsque j’ai participé à la formation d’initiateur GV, ils m’ont fait flipper encore plus ! Mais donné encore plus envie d’aller plus loin dans ma pratique.
Le plaisir de sortir une voie, surtout quand on a rencontré des difficultés est juste indescriptible. Ces petits moments de doute, ce petit frisson lorsqu’on a faillit tombé, cette poussé d’adrénaline lorsqu’on a volé, sont démultipliés en grande voie. Mais le Kif d’arriver en haut … celui-là … il vaut mille fois de surmonter ces broutilles. Tout le reste devient à la fois négligeable et part de la légende.
J’ai déjà parlé de la légende ?
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Un sujet bien rédigé !! Félicitations pour ces articles qui décrivent bien tous les aspects de l’escalade.
« Chapeau l’artiste! »… ou dois-je plutôt écrire « bravo le rédacteur !! »